Ce MARDI 10 JUIN, nous célébrions la Journée mondiale de l’Art Nouveau.

Une belle occasion de se replonger dans un courant qui, à son époque, a brisé les carcans esthétiques, repoussé les limites techniques et réinventé les codes. Mais au fond, cette journée est peut-être aussi l’occasion parfaite pour se poser une autre question :

Mais au fond, que signifie réellement l’Art nouveau aujourd’hui ? Que recouvre ce terme dans notre époque ?

Créée pour mettre à l’honneur un mouvement artistique qui a bouleversé les codes de la création au tournant des XIXe et XXe siècles, cette journée est aussi l’occasion de s’interroger sur les formes artistiques contemporaines. Et s’il y a bien une question qui traverse les débats actuels, c’est celle de la place de l’intelligence artificielle dans le champ créatif.

Aujourd’hui, l’IA prend une place de plus en plus centrale dans les domaines artistiques, notamment en communication. En un clic, elle génère des visuels ; elle compose, simule, assemble. La présence d’un illustrateur devient parfois accessoire. Des campagnes entières sont conçues par IA, de l’idée au rendu final. Le pinceau n’est plus tendu à Picasso, mais à la machine.

Les tendances explosent : les « starter packs » reproduisent des styles d’artistes sans leur accord, les photos « à la manière du studio Ghibli » envahissent les réseaux, et les campagnes FOOH (Fake Out Of Home) trompent volontairement le réel. Entre émerveillement technologique et appropriation controversée, les réactions oscillent. Certains y voient une trahison, un vol des métiers, des identités, des âmes. D’autres saluent un progrès, une ouverture, une forme de démocratisation du geste créatif.

Alors, où se positionner ? Et peut-on encore prétendre que tout cela est « normal » ?

Une révolution créée par l’homme

L’IA générative est déjà profondément intégrée aux stratégies de communication. Elle permet de produire, en quelques secondes, des textes, des visuels, des vidéos d’une qualité parfois bluffante. Elle permet une hyper-personnalisation des messages et devient un partenaire de co-création dans les campagnes, les packagings, le storytelling.

Ce que cette révolution technologique révèle, c’est un besoin fondamental : celui de l’expression, de créer, de partager. Ces besoins, tout le monde les ressent, mais nous n’avons pas tous appris à dessiner, à peindre, à modéliser.

Les écoles d’art sont chères, sélectives, parfois élitistes. L’idée même qu’il faudrait être « né artiste » ou issu du bon milieu pour créer est profondément injuste.

L’IA bouscule cette idée. Elle met des outils entre les mains de ceux qui n’en avaient pas. Elle rend possible, parfois, un rêve longtemps retenu. Et dans cette libération, on peut aussi voir une part de beauté.

Les codes de l’art modifiés et refaçonnés

Comme un sculpteur qui modèle la matière, l’IA s’empare des codes de l’art pour les retravailler, les recontextualiser, les reconfigurer. Elle n’invente rien à partir de rien, mais elle réassemble, restructure, et parfois, surprend. Cette capacité à manipuler les signes, les formes, les couleurs soulève une question essentielle : à partir de quand peut-on parler d’art ?

Dans sa définition la plus classique, l’art est un moyen d’expression destiné à éveiller une émotion, un regard, une réflexion. Le Larousse le définit comme « l’ensemble des œuvres humaines destinées à toucher les sens et les émotions, par la représentation du réel ou de l’imaginaire ». L’art serait donc, au-delà du geste, un dialogue : entre un créateur, une œuvre, et un public.

Art et ecriture

Le mot “artiste” vient du latin artista, lui-même issu de ars, qui signifie “habileté, métier, savoir-faire”. À l’origine, l’artiste est celui qui maîtrise une technique, qui sait faire. La sensibilité, l’intuition ou la vision ne sont venues s’ajouter que plus tard, à mesure que l’art s’est éloigné de la seule exécution pour s’ouvrir à la suggestion, à la transgression, à l’interprétation.

Aujourd’hui, cette maîtrise n’est plus nécessairement manuelle ou académique. Elle peut être numérique, conceptuelle, collective, intuitive. Et cela bouscule nos repères : est-ce la main qui fait l’artiste, ou bien l’intention ? Le message ? La relation au monde ?

Ces questions ne sont pas nouvelles.

L’art contemporain lui-même a déjà déstabilisé notre rapport au “beau”. Une toile blanche, un écran vide, un mot posé sur un mur : ces œuvres ont souvent suscité l’incompréhension, parfois le rejet. Mais elles racontent quelque chose. Elles dérangent. Et à ce titre, elles font œuvre.

Finalement qu’est devenu l’art d’aujourd’hui ? Quelle est sa fonction ? Est-ce de provoquer ? De transmettre ? D’être compris ? De ne parler qu’à quelques initiés, ou de toucher tout le monde ?

Nicolas ROBERT – Graveur français (1614 – 1685)

Un artiste, dans son essence, cherche à faire passer un message. Il dialogue avec son époque, parfois avec lui-même. L’IA, paradoxalement, sait répondre à une attente. Elle identifie les tendances, capte les désirs, s’adapte aux codes du moment. Elle s’adresse à un public, et même si elle ne ressent rien, elle parvient parfois à activer, chez nous, des émotions bien réelles.

Cela suffit-il à faire d’elle un artiste ? Peut-être pas. Mais cela suffit à remettre en question nos définitions les plus établies.

Quand l’évolution bouscule notre regard.

Certains crient au scandale : « Comment peut-on appeler ça de l’art ? »

Mais derrière cette réaction, une autre question se dessine : est-ce vraiment l’IA qu’il faut interroger ou notre propre vision de ce qu’est un artiste ?

Et si le problème ne venait pas de la machine, mais du cadre trop rigide dans lequel on enferme la création ?

Peut-être que l’IA ne prend pas notre place, mais révèle à quel point nous avons oublié comment l’occuper.

Trop souvent, l’apprentissage artistique se résume à une maîtrise technique : des outils, des codes, des références. On apprend à produire, pas à habiter ce qu’on crée. On travaille des identités visuelles, des portfolios, sans toujours apprendre à transmettre ce qui vibre derrière. Résultat : des talents brillants, mais peu audibles. Des œuvres, mais peu d’empreintes.

Là où l’humain hésite, l’IA s’engouffre. Elle reproduit, simule, répond à la demande. Mais elle ne transmet rien. Et ce n’est pas forcément de sa faute.

Ce vide, c’est à nous de le combler. Car un artiste aujourd’hui ne peut plus se contenter de créer. Il doit faire passer. Donner du sens. Créer du lien. Sans ça, même un univers fort devient une image de plus dans la masse  facile à ignorer, facile à copier.

On ne parle pas ici de condamner les artistes ni de nier les injustices. On parle de redonner à l’art son souffle. De former des créateurs capables de faire ressentir, pas juste produire.

Car une œuvre sans âme, c’est un tee-shirt blanc. Propre, pratique, oubliable.

Le vrai défi, c’est d’apprendre à porter son art. À le faire vivre. Et à le rendre impossible à imiter.

L’âme contre la machine

L’IA était inévitable. Elle est là, et notre horizon créatif ne sera plus jamais le même. Mais le véritable enjeu ne réside pas dans une opposition frontale entre humain et machine il réside dans l’affirmation de ce qui, en nous, ne pourra jamais être répliqué.
Créer, c’est traverser quelque chose. C’est vivre des doutes, des silences, des renaissances. C’est ressentir une émotion et la transformer en forme, en son, en image. Ce processus créatif, intime et imparfait, tisse ce qu’on appelle l’âme d’une œuvre. L’IA, elle, réplique des esthétiques. Mais elle ne pleure pas. Elle ne se relève pas après un échec. Elle ne ressent pas.

Un style peut se reproduire. Un starter pack peut buzzer. Mais un univers habité touche autrement : il parle à nos blessures, à nos souvenirs, à notre humanité. Ce que les algorithmes ne savent pas capter.

Prenez les images générées à la manière du studio Ghibli. Certaines sont bluffantes. Mais l’émotion suspendue ? L’innocence contenue dans un regard ? Le souffle onirique d’un monde fragile ? Il manque quelque chose. Parce que l’âme ne se génère pas. Elle s’éprouve. Et pourtant, ces images circulent, se vendent, s’exposent — souvent sans respect, ni conscience, ni droit.

La liberation de lart
Karine Germain /
21 Octobre 2019

Alors oui, il faut aussi parler de protection. De droits. D’éthique. Car derrière chaque style copié, chaque œuvre détournée, il y a un créateur. Un regard. Un parcours. Et si nous ne faisons rien, nous laisserons l’IA déposséder les artistes de ce qu’ils ont de plus précieux : leur voix.

Mais la solution n’est pas de se taire. C’est de créer encore. D’exister plus fort. De faire ce pas de côté que la machine ne pourra jamais anticiper.

Lexperience de vie est lessence de tous les arts
Brooke Balentine / 21 Avril 2025

L’IA vit de ce qu’on lui donne. Elle se nourrit de nos œuvres, de nos récits, de nos recherches. Alors tant qu’elle dépend de nous, notre rôle est d’alimenter le vivant. De ne pas cesser d’aimer, d’oser, de bouleverser.

Car finalement, la copie a toujours existé. La Joconde a été dupliquée des millions de fois. Des œuvres ont été volées, des jeunes artistes pillés par des marques. Ce n’est pas juste. Mais c’est un signal. Si l’on vous copie, c’est que vous marquez. Alors continuez. Protégez ce qui compte. Mais surtout, continuez.

Ne laisse pas l’IA dicter la fin du récit. Sois le chapitre suivant.

Et n’oublions jamais de nous poser cette question : Qu’ai-je à raconter que la machine ne pourra jamais créer ?